LRS #7 : Panthère Rose, Air Jordan et journalistes bretonnes en force

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Les Recos du Samedi
7 min ⋅ 02/08/2025

Salut à tous·tes, merci de lire les Recos du Samedi !

Au menu de cette septième édition : des journalistes face à l’industrie agroalimentaire bretonne, l’histoire des légendaires Nike “Air Jordan” vue par Hollywood, le retour fracassant de South Park et la nouvelle reine de la musique UK in my book : PinkPantheress.

Bonjour à tous·tes, nous sommes le samedi 2 août, et c’est le moment parfait si vous avez prévu de devenir Premier Consul À VIE.

TW : le paragraphe qui suit est une introduction à l’article de la semaine. Il évoque le décès de plusieurs personnes de façon explicite, et peut heurter la sensibilité de certain·e·s d’entre vous.

En 2022, à Lanfains, dans les Côtes-d’Armor, plus de 200 personnes ont marché en mémoire de Tom Le Duault. Tom, c’était un gars du coin, volontaire et sympa, âgé de 18 ans. Et en 2021, alors qu’il démarrait un contrat saisonnier dans un abattoir, chez LDC Bretagne, il est mort. Écrasé sous un box de 500 kg. Le premier jour de son contrat. Un an plus tard, ses parents n’avaient toujours pas d’explications quant au décès de leur fils. Et je me souviens très bien du désespoir, ce samedi 29 octobre 2022, dans les yeux de son père, un solide gaillard dont la voix s’est brisée en plein discours, à l’évocation de son fils. Les parents de Tom ne pouvaient tout simplement pas faire leur deuil. Parce qu’iels n’avaient pas de réponses à leurs questions.

Le 29 octobre 2022, à Lanfains (Côtes-d’Armor), plus de 200 personnes ont participé à la marche blanche en l’honneur de Tom Le Duault, décédé après un accident de travail dans l’abattoir de LDC Bretagne un an plus tôt. (Le Télégramme)

Leur histoire s’ajoute à une longue liste de drames survenus en Bretagne. Le plus connu reste sûrement le décès d’un joggeur, Jean-René Auffray, retrouvé dans une vasière polluée aux algues vertes à Hillion (Côtes-d’Armor) en 2016. Tous ont un dénominateur commun : l’industrie agroalimentaire. Un ogre immense, sur lequel sont déjà parues des enquêtes, comme Silence dans les champs, de Nicolas Legendre. Ou le livre Algues Vertes, tiré de l’enquête de la journaliste Inès Léraud, dont l’adaptation en film a bien failli ne jamais se faire. À titre personnel, ce sont des sujets avec lesquels j’ai grandi, et que j’ai aussi bien suivi comme journaliste ou comme Breton. Parce que l’agroalimentaire, c’est immanquable, ici.

6,6 millions de porcs. Plus de 650 000 vaches laitières. 49,2 millions de volailles de chair. Ces chiffres, datés de 2023, placent la Bretagne en pole position de l’industrie porcine, laitière et avicole française. Forcément, c’est aussi la première région tricolore en termes d’emplois dans le secteur agroalimentaire. Autant dire que c’est - sans mauvais jeu de mots - un poids lourd dans le coin, sur lequel il est très souvent compliqué d’enquêter. C’est ce que rappelle cet article de la journaliste Manon Boquen, pour la revue féministe La Déferlante, qui met à l’honneur plusieurs journalistes qui enquêtent sur l’agroalimentaire breton.

Les membres permanentes de la rédaction du média d’investigation breton Splann! près de Guingamp (Côtes-d’Armor), le 28 avril 2025. De gauche à droite Julie Lallouët-Geffroy, Faustine Sternberg, Juliette Cabaço Roger, et Caroline Trouillet. Crédit : Louise Quignon pour La Déferlante.

Morgan Large, Inès Léraud, Julie Lallouët-Geffroy, Faustine Sternberg, ou encore Nolwenn Weiler. Ce sont ces journalistes dont le fruit du travail long, acharné et souvent douloureux, aboutissent à des enquêtes sur ce milieu. Permettent de faire la lumière sur ces pratiques que l’industrie aimerait cacher. Donnent des réponses aux familles comme celle de Tom - Nolwenn Weiler a enquêté sur les circonstances de son décès. Coûte que coûte, jour après jour, dans une région bretonne qui les a vues grandir (Nolwenn Weiler, par exemple) ou s’installer pour couvrir ces sujets et leurs acteurs au plus près (comme Inès Léraud).

“À partir du moment où j’ai vraiment compris comment le système agro-industriel fonc­tion­nait – qu’il y avait une omerta, pour sim­pli­fier –, j’ai commencé à m’in­quié­ter pour moi et pour mes témoins”

Inès Léraud, journaliste d’investigation

C’est ce que raconte cet article. Les insultes, les menaces d’acteurs d’un système qu’elles viennent questionner. Ou plus grave, les intimidations et tentatives de blesser - Morgan Large s’est fait déboulonner deux fois les roues de sa voiture en pleine nuit, près de Glomel (22). Mais ce qu’écrit Manon Boquen pour La Déferlante, c’est aussi l’entraide. La création d’un collectif informel de femmes journalistes travaillant en milieu rural en France, quand Inès Léraud a rencontré d’autres journalistes qui s’intéressaient à ces sujets, et s’est aperçue “qu’on était toutes des femmes. La naissance de Splann!, média indépendant d’enquête breton, cofondé notamment par Julie Lallouët-Geffroy, Faustine Sternberg, Juliette Cabaço Roger et Caroline Trouillet. C’est une réalité complexe, et pas moins intéressante. Et c’est mon conseil lecture de la semaine.

PS : soutenez la presse indépendante. Si vous en avez les moyens, faites un don à Splann, à Médiacités, à La Déferlante ou encore à Basta. Merci !

“SOUTH PARK”

C’était pas dans mon bingo 2025. La semaine dernière, les Ricain·e·s n’ont eu qu’un - deux - mots à la bouche sur les réseaux sociaux : South Park. Pourquoi ? Parce que l’équipe derrière ce dessin animé satirique a réussi un - très - gros coup. On rembobine pour celles et ceux qui n’ont pas grandi en regardant D17 (CSTAR à l’ancienne) en deuxième partie de soirée (merci à mes grands-parents).

South Park démarre en 1997, sur la chaîne Comedy Central, propriété de la Paramount. Très vite, la série fait mouche avec son humour trash. Une crotte qui parle. Saddam Hussein qui se tape Satan. Une réconciliation avec Al-Qaïda pour lutter contre l’État du New-Jersey. Derrière son apparence enfantine et les aventures de quatre copains (Stan, Kyle, Eric et Kenny), c’est un miroir grossissant sur l’Amérique. Et une satire politique sans limites, quitte à provoquer scandale sur scandale.

Stan, Kyle, Eric et Kenny, personnages principaux de South Park. Crédit : Comedy Central/Everett Collection.

Après 325 épisodes, Trey Parker et Matt Stone, les créateurs, ont signé avec la Paramount pour une 27e saison. Non sans galères. D’abord parce qu’ils ne s’entendaient pas sur les droits de diffusion. Ensuite parce que ces derniers temps, chez Paramount, c’était un peu tendax. L’entreprise voulait fusionner avec Skydance, un autre poids lourd du secteur. Et pour y arriver, elle a dû donner montrer patte blanche à Donald Trump, quitte à lui filer 16 millions de dollars pour régler un procès à l’amiable.

La dépense qui pique un peu plus, ce sont les 1,5 MILLIARDS de dollars lâchés pour garder South Park sur Comedy Central. Et là, c’est parti en vrille. La série a fait son retour mercredi dernier. Et South Park a humilié Donald Trump tout du long. Trump a “une petite b*te”. Il remplace Saddam Hussein dans le lit de Satan. Le Canada l’accuse de soutenir un “dictateur du Moyen-Orient”. Un message de prévention publique, diffusé en plein épisode, le montre nu dans le désert.

Les extraits ont fait le tour des réseaux sociaux. Même la Maison-Blanche a ragé réagi en traitant South Park de “fourth-rate show (émission de seconde zone, naze, si vous préférez). L’épisode est aussi beauf que trash. Mais ça marche. Parce qu’il frappe Trump là où ça fait mal : à l’ego, comme l’écrit Manika Krishnan pour WIRED. Finie la bien-pensance face aux MAGA & cie. South Park joue le jeu, et sur leur terrain. Même si ça laisse la Paramount avec 1,5 milliards en moins… et beaucoup de problèmes en plus.

Lady Gaga qui retrouve le sommet des charts. Les prénoms qui refont leur apparition sur les bouteilles de Coca-Cola. Les jupes mi-longues qui reviennent dans les défilés. À en croire des théories - plus ou moins sérieuses - ces événements anodins sont le signe du R-word : la récession. Pourquoi ? Parce que toutes ces choses ont marqué les années précédant la big crise économique de 2008 aux States. OU ALORS c’est peut-être le retour en grâce de l’esthétique des années 2000. Cette époque bénie, remplie de vrais jouets dans les Happy Meal, où Facebook était ZE place to be, etc. Depuis l’année dernière, le Y2K (“années 2000”) revient en force. Et il a une porte-étendard musicale : PinkPantheress (c’est pour ça que j’écris en rose).

Pop, lo-fi, dance, alt-pop, drum & bass, 2-step, jungle et hyperpop. Ce n’est pas un bingo, c’est la tentative de 20Minutes pour attribuer un genre musical à PinkPantheress. Et on les comprend, parce que sa musique est difficile à classer - même si, au fond, on n’en a rien à foutre. Par contre, tous·tes les critiques musicaux·ales s’accordent sur une chose : l’influence Y2K dans ses titres. Prenez Boy’s a Liar Pt. II, en duo avec Ice Spice, et sa ligne de mélodie tout droit sortie d’un BlackBerry Curve. Ou le drum & bass de I Must Apologize, qui semble tout droit sorti d’un jeu de plateforme sur la Wii. La photo de sa chaîne YouTube ? L’une des Super Nanas, dessin animé populaire diffusé sur Cartoon Network dans les années 2000.

De son vrai nom Victoria Beverly Walker, PinkPantheress connaît bien cette époque : âgée de 24 ans, elle a grandi en plein dedans. Ce n’est donc pas un hasard si elle le retranscrit si bien dans sa musique - ou qu’elle parle à de nombreuses générations, y compris la mienne (on a le même âge). Et ce n’est toujours pas un hasard si c’est sur TikTok qu’elle a gagné en popularité en 2023. Allant jusqu’à lancer une trend en mai dernier, avec son album Fancy That et ces quatre phrases, tirées du titre Illegal :

“My name is Pink and I’m really glad to meet you / You’re recommended to me by some people / Hey, ooh, is this illegal? / Hey, ooh, it feels illegal.”

@warnermusicmypov: your gen z coworker forced you to jump in on the ‘Illegal’ trend 💅 Who else is obsessed with this track?#pinkpantheress#illegal♬ Illegal - PinkPantheress

Elles ont été reprises dans des milliers de vidéos. Et elles ont ouvert le répertoire musical de PinkPantheress à de nouvelles et nouveaux auditeur·ice·s, notamment les plus jeunes. Mais ces succès ne font pas tout, comme le regrettait l’artiste dans une interview au Hollywood Reporter. "Les gens sont moins enclins à écouter de la musique électronique produite par une femme noire. C'est un fait", expliquait-elle, ajoutant “qu'elle aimerait être davantage reconnue dans certains espaces de l'industrie, mais qu'il y a de nombreux obstacles à franchir dans un créneau musical aussi pointu”, écrivait la journaliste Lily Ford. Peut-être qu’elle délaissera cet esprit Y2K. Peut-être pas. En attendant, vous pouvez toujours aller écouter Fancy That :)

Écouter Fancy That sur Apple Music / Deezer / YouTube / Spotify

1984. Le basketball est - déjà - le sport le plus populaire aux États-Unis et les équipementiers sportifs l’ont bien compris. Tous… sauf Nike, peut-être. La marque au swoosh s’est bâtie une réputation sur les chaussures de running (donc vers un certain public, suivez mon regard). Désormais, elle veut s’attaquer aux courts de basketball. Et elle vise GROS. Cette semaine dans LRS, on parle d’un film qui raconte comment Sonny Vaccaro, cadre chez Nike, a réussi le plus gros coup marketing de l’histoire du sport. À savoir, signer Michael Jordan, rookie phénoménal - et future légende du basketball - et donner naissance à la fameuse Air Jordan. C’est ce que raconte AIR, réalisé par Ben Affleck et sorti en 2023 sur Prime Video.

La vraie star de ce film n’est pas Michael Jordan. Vous n’avez pas vu son visage une seule fois dans la bande-annonce ? Vous ne le verrez pas dans le film (hors image d’archives). Et c’est ce qui est très bien foutu dans AIR : il laisse la part belle à un casting de haute volée. Pas parce que ce sont des stars, mais parce qu’iels jouent bien. À tel point que j’ai oublié que Matt Damon était Matt Damon : j’ai vu, à sa place, un Sonny Vaccaro à l’audace touchante, même dans ses propres doutes. Viola Davis est par-faite dans le rôle de Deloris, la mère de Michael, toute en humanité et en fermeté lorsqu’on parle contrat. Ben Affleck tient son rôle de Phil Knight, co-fondateur et patron de Nike, sans carotte la vedette - alors qu’il est à la réal. Sans oublier Marlon Wayans (sous-côté), Chris Tucker, Jason Bateman et Chris Messina, qui méritent tout autant.

L’exceptionnelle Viola Davis dépeint une Deloris Jordan (la mère de Michael) à laquelle la mère de Rabiot a tout à envier. Et à gauche, c’est Matt Damon (Sonny Vaccaris). Crédit : Prime Video.

Ce n’est pas non plus la Air Jordan. Certes, le titre du film renvoie au nom du modèle de sneaker cultissime. Mais ce que raconte AIR, c’est surtout les origines d’un partenariat/pari historique dans l’histoire du sport et des marques. D’abord dans ses coulisses : Nike emploie Sonny Vaccaro comme basketball expert pour signer des talents universitaires, parce qu’il voit leur potentiel sportif et commercial. Ensuite dans sa dimension globale : le partenariat avec Michael Jordan - qui touche un pourcentage sur chaque pompe vendue - va poser une pierre angulaire dans la rémunération des sportif·ve·s basée sur leur image. Bien qu’il reste encore du boulot, notamment en matière d’équité F/H - Forbes en parle ici.

Attention : ceci est une feel good story. Évidemment, l’histoire est édulcorée, voire glorifiée. Bien qu’il soit estampillé “drame”, AIR m’a fait marrer à plusieurs reprises - par l’absurdité de certaines situations. On sent bien la success story chère aux States, et le film n’arrive pas à se départir de ce vernis. Pas plus qu’il ne laisse vraiment de place au personnage de Georges Raveling, entraîneur de l’équipe de basket olympique étasunienne, laissé dans l’ombre de Sonny Vaccaris, comme l’explique Mouv. C’est la grosse limite de ce que veut montrer AIR - et c’est un choix de réalisation. Je vous laisse vous faire votre propre avis !

C’est la fin de cette septième édition des Recos du Samedi, merci de m’avoir lu jusqu’ici :)

À la semaine prochaine, abonnez-vous pour ne rien manquer !

Les Recos du Samedi

Par Quentin-Mathéo Pihour

À propos de l’auteur des Recos du Samedi

Je m’appelle Quentin-Mathéo, je suis journaliste au Canard Enchaîné, en parallèle de ma formation à l’ESJ Lille et à Sciences Po Lille. LRS, c’est un peu mon bébé. Depuis des années, j’aime partager mes découvertes : des albums, mais aussi des articles de presse qui me font réfléchir, des newsletter, des docus, des séries… Après un lonnnnng brainstorming (10 minutes), vous avez le résultat sous les yeux ! Bonne lecture :)

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